Sucre, Mambo, Mojito et… Castro
Cuba. Le pays qui m’a vu naître, où j’ai respiré ma première bouffée d’air, où j’ai appris à marcher et à parler. Un îlot. Une petite bande de terre au large du continent nord-américain… Un moucheron que la gueule béante du Cerbère américain n’a cependant pu réduire en miettes. Et cela pendant plusieurs décennies. C’est probablement ainsi que s’est forgée la légende du Lider Maximo. Fidel Castro avait incontestablement des qualités d’Homme d’Etat : charismatique, grand orateur, patriote et aimant son peuple dont il a incarné le destin en donnant corps à une vision historique et universelle de l’époque, la cause de l’anti-impérialisme, celles des mouvements anti-colonialistes, celle du socialisme révolutionnaire triomphant des années 60. « L’Amérique a la rage » écrivait alors Sartre. Effectivement l’Amérique se lançait à corps perdu dans la guerre du Vietnam sous un faux prétexte, celui de l’incident du golfe du Tonkin, elle tentait d’envahir la petite île de Cuba en avril 1961 et – on le sait aujourd’hui – a même imaginé des attentats terroristes sur son propre sol, attentats qu’elle voulait attribuer à Castro afin de justifier une intervention militaire ! Ces plans ont été proposés à Kennedy par son état-major et ce dernier les a heureusement rejetés . Eh oui, l’Amérique considérait Cuba non seulement comme son arrière-cour, mais comme sa propriété. L’île était son bordel privé, le lieu de tous les vices, le paradis de la mafia comme le montre plutôt bien le film le Parrain 3 de Coppola. Cette situation, largement sous le contrôle de la dictature de Battista lui-même manipulé par l’Amérique, a construit la légende Castro comme celle du Che. Elle les a unis dans la lutte violente contre l’oppression, ce qui a façonné le visage de ce couple mythique des compagnons de la Révolution devenus deux icônes politiques et culturelles absolues et reproduits symboliquement par une myriade d’artistes planétaires de tous horizons à travers le rock, le cinéma, la peinture etc…
Mais Castro avait aussi son côté obscur. Sa mégalomanie, son autoritarisme, sa personnalité tyrannique qui a fini par lui entacher les mains du sang de milliers de Cubains. C’est probablement en partie dû à l’ivresse provoquée par la réussite de la Révolution, à l’amour immodéré du pouvoir. Mais aussi, probablement, à ce sentiment qui l’animait de ne rien sacrifier des buts nobles poursuivis par la Révolution et que seul un engagement total pouvait mener à terme. L’ambition immense qui était la sienne exigeait un engagement total de tous les Cubains, c’est ainsi qu’il concevait sa Révolution, faite afin de construire un monde nouveau sur les ruines de l’ancien. C’est le même effort qu’exigeait Robespierre au lendemain de la Révolution française. C’était aussi celui de De Gaulle en 1940. Pendant quelques années, le joug nazi avait noirci le ciel de l’Europe, et bien des gens avaient cru à la victoire du Reich allemand. Jusqu’à Stefan Zweig qui se suicidait de désespoir au Brésil en 1942. Pour détruire cet ordre honni qui s’était abattu sur tous, il a fallu un courage et un engagement sans limite. Je fais ces parallèles peut-être un peu osés avec la Révolution castriste, que d’aucuns critiqueront peut-être, mais c’est l’idée de la lutte pour des convictions très fortes et pour provoquer un véritable changement total qui doit être retenue ici. L’eau tiède ne permet pas de réveiller la belle endormie. Ce sont aussi ces idées qui ont inspiré des jeunes intellectuels, étudiants, français ou non, d’aller se battre pour les mouvements indépendantistes africains des années 60, en Angola ou avec Lumumba par exemple. L’exemple cubain fascinait à cette époque et Castro a eu une activité diplomatique secrète intense en Afrique et il est allé jusqu’à fournir des aides militaires à plusieurs leaders du continent africain. A ce titre, Cuba a été un acteur majeur de la guerre froide. J’ose un autre parallèle historique, bien innocent qui a l’avantage de pousser à la réflexion. Les jeunes, pétris d’idéaux, qui s’engageaient dans ces mouvements révolutionnaires étaient souvent des jeunes issus de milieux favorisés, peut-être en mal d’émotions romanesques… On peut presqu’y voir des similitudes avec le jeune Marquis de La Fayette s’éprenant de l’idéal de liberté des Américains insurgés contre la monarchie anglaise.
A Cuba, je n’étais moi-même qu’un très jeune enfant. Un jour de novembre 1969, le 1 er du mois, mes espiègleries de petit bambino ont failli créer un incident diplomatique. Mon père recevait à sa Résidence officielle les dignitaires du régime. Fidel Castro était annoncé afin de signer un registre de félicitations en hommage au soulèvement du peuple algérien, dont on fêtait le 15 ème anniversaire. On aperçoit justement le Lider Maximo sur la photo ci-contre, salué par mon père à son arrivée à la résidence.
La réception officielle a démarré peu après, et il se trouve que j’avais échappé un temps à la surveillance de ma nourrice pour aller vider les verres des invités… Heureusement ou malheureusement, j’ai été rattrapé avant de tourner de l’œil, certains auraient peut-être conclu à une tentative d’empoisonnement du père de la Révolution. Ah, j’aurais dû mourir sur place pour passer alors à la postérité. Pas de regrets cependant, en étant témoin aujourd’hui – depuis Paris – de la mort de Castro, ce souvenir personnel me ramène à des épisodes heureux et je viens de prendre la décision de retourner à La Havane pour vivre à nouveau peut-être des moments historiques dans le processus de réappropriation par le peuple cubain de son histoire et de son avenir.
Que restera t-il du castrisme ? Cette aventure ressemble à une énième répétition historique du poème d’Homère, l’Iliade, qui chante la lutte violente entre deux mondes, celui de Troie et celui des Grecs. Troie est certes détruite à jamais, mais les armées grecques sont également décimées… Les mouvements de lutte pour l’éveil des opprimés, c’est un peu la terminologie qui était clamée haut et fort dans les années 60, mouvements portés par l’idéologie communiste révolutionnaire, ont mené, comme dans l’Iliade, une guerre totale au capitalisme « conquérant » et à ses conséquences injustes, comme la mise sous tutelle de peuples, qui le caractérisait. Il y a eu une illusion de victoire, avant que le rêve ne s’effiloche. Mais l’espoir reste vivace, et la confrontation gronde à nouveau…
Excellent, comme toujours. Tes articles démontrent bien que tu es le temoin de ton temps, lucide mais neanmoins content d’etre la pour prendre le temps de penser pour les autres et les aider… a vivre.
Merci Dan de ce commentaire. Si tous étaient comme toi je n’aurais pas besoin de le prendre…ce temps