Stephane Bellocine

Blog d'écrivain

Cédric Villani, un esprit créatif, une personnalité attachante


Cédric Villani est issu d’une famille d’universitaires et d’artistes, ce qui n’est pas sans importance et a certainement joué un rôle dans l’ouverture et la curiosité d’esprit qui le caractérisent.
Cédric Villani intègre l’
École Normale Supérieure de la rue d’Ulm en 1992.
En 1994, il est reçu à l’
agrégation de mathématiques Il soutient sa thèse, intitulée Contribution à l’étude mathématique des gaz et des plasmas en 1998 à l’université Paris-Dauphine, dans laquelle il étudie en particulier les effets des collisions rasantes dans les gaz et l’augmentation de l’entropie selon la théorie de Boltzmann.
En 2000, il obtient son
habilitation à diriger des recherches et il devient professeur des universités à l’École normale supérieure de Lyon, poste qu’il occupe jusqu’en 2010. 

De 2007 à 2010, Cédric Villani est membre de l’Institut universitaire de France. En 2009, il devient directeur de l’Institut Henri-Poincaré, poste dont il démissionne en juin 2017, après avoir été élu député. En 2010, il obtient la médaille Fields. Il ne se consacre aujourd’hui plus à la Recherche mais reste professeur des universités à l’Université Claude Bernard de Lyon. 

Cédric Villani se voit régulièrement confier des missions pour le gouvernement. Par exemple le Premier ministre Édouard Philippe lui confie une mission sur l’intelligence artificielle, ou encore le ministre de l’Éducation Jean-Michel Blanquer sur l’enseignement des mathématiques.

Soulignons qu’il est aussi auteur de nombreux livres, dont « Les coulisses de la Création » coécrit avec le compositeur Karol Beffa. Cédric Villani m’a fait l’honneur de me le dédicacer, j’y ai retrouvé nombre de choses qui m’inspirent dans le processus de création artistique.

<Stéphane Bellocine> : Une première question sur un sujet très à la mode, l’environnement. On prend de plus en plus conscience du danger et on prend aussi conscience qu’on en est un peu responsables voire un peu beaucoup. Pourtant les statistiques de 2017 montrent que l’utilisation d’énergies fossiles n’a jamais été aussi grande, les USA utilisent les techniques de crackage pour le gaz de schiste ce qui gaspille énormément d’eau, l’Allemagne a repris l’exploitation du charbon, les rejets de déchets industriels dans les océans continuent etc…Je ne sais pas si vous connaissez le mot de Schopenhauer : « l’Homme peut certes faire ce qu’il veut mais il ne peut pas vouloir ce qu’il veut » .. Alors on y est totalement il me semble ! 
Je crois qu’on aura la volonté de sauver la maison qui brûle lorsqu’on commencera et lorsqu’on commencera seulement à respirer les fumées toxiques. Malheureusement les écosystèmes naturels auront commencé à se détériorer de manière irréversible. Pour utiliser une image, je dirais qu’on court vers un mur qui lui commencera déjà bientôt à courir vers nous aussi, et en accélérant, un peu comme l’entropie.
Alors ma question est toute simple,  êtes-vous optimiste?

<Cédric Villani> : Tous les éléments objectifs sont inquiétants. Les statistiques de consommation d’énergie sont très mauvaises, les statistiques d’exploitation des ressources sont très mauvaises, les statistiques de diversité sont très mauvaises. A l’échelle macroscopique, on n’observe pas de signes d’amélioration. En dépit des accords COP21, les rejets en carbone augmentent, et les pays globalement n’ont pas respecté leurs engagements.
Le  seul bon point est subjectif, et c’est le fait qu’il y a une prise de conscience, le fait que l’évidence devient claire. Delphine Batho vient de publier un ouvrage qui commence avec un constat très dur. La conscience est là. Pessimiste ou optimiste, ce n’est pas rationnel. Cela relève de l’intime conviction.

<SBE> : Oui ben disons alors quelle est votre intime conviction?

<CVI> Même en face d’Armageddon on reste optimiste. Mais tous les éléments objectifs sont contre nous.

<SBE> : Le malaise n’est pas seulement environnemental. Il existe aussi dans la société un sentiment un peu diffus de morosité, de frustration, d’abattement même qui parfois explose. Les gilet jaunes sont un exemple, mais on en a connu de moins violents dans bien des catégories professionnelles ou sociales. Cela me semble être la conséquence d’une perte de l’humain, perte de repères. D’où les théories de décroissance, plus ou moins farfelues qui font florès, certaines parlent de « remonter aux arbres », d’autres se focalisent sur d’autres modèles de croissances.

<CVI> : Attention à ne pas caricaturer le mouvement de décroissance. Prenez une association comme négaWatt par exemple, elle s’appuie sur une réflexion très poussée.

<SBE> : Oui bien sûr je ne caricature pas, il y a des idées farfelues dans le débat mais d’autres très sérieuses bien entendu. Le diagnostic que je fais, c’est que la perte de l’humain est à la source de bien des malaises, qui ne sont pas forcément d’ordre économique, ou social. Et je crois que l’omniprésence de la technologie et surtout son caractère disruptif, puisqu’elle change très vite, y est pour beaucoup. On oublie que l’Homme est aussi un animal, il a besoin d’interactions avec son prochain, et c’est de moins en moins le cas dans bien des aspects du quotidien, mais aussi d’interactions avec d’autres espèces, avec la nature …
A ce sujet, pour en venir à ma question, je voulais opposer science et technologie.

<CVI> : Il y a un distinguo oui ! On peut le faire au point de vue de la nature de la discipline. La science s’occupant d’accumuler le savoir et la compréhension, la technologie s’occupant de produire des objets et des processus qui viennent faciliter ou remplacer les tâches humaines.
On peut aussi les opposer par la façon dont elles sont produites. Les communautés fondées sur le partage, sur un mouvement de coopération plutôt que compétitif, caractérisent la science, tournée vers un objet commun. La technologie se développe dans la compétition des projets.

<SBE> : Très bien, peut-on aussi les opposer par leur objet, leur ambition?
Je pense à la fameuse phrase de Rabelais, « Science sans conscience n’est que ruine de l’âme »… Soit on met l’Homme au centre du projet, soit on n’est là que pour le business et on se fiche un petit peu de l’avenir et du bien commun.
Cela me permet d’introduire le sujet suivant, l’intelligence artificielle.
Aujourd’hui, elle fait encore peur, je parle du grand public. Les gens imaginent un androïde un peu méchant qui nous asservirait, cela vient un peu du cinéma.
Les machines les plus sophistiquées pourtant, encore aujourd’hui, ne font que du traitement de l’information, du data computing, c’est un peu çà n’est-ce pas ?

<CVI> : Oui. D’un autre côté, elles ont atteint au jeu de Go un niveau qui dépasse de très loin ce qu’un humain n’a jamais atteint.

<SBE> : Oui mais l’intelligence, c’est plus que cela… c’est aussi avoir des émotions.

<CVI> : Tout dépend de la définition de l’intelligence.

<SBE>: Oui bien sûr, mais justement, je donne ici une définition élargie. L’intelligence, c’est aussi créer, composer une symphonie, dessiner, interagir avec autrui…

<CVI> : Il est certain que l’Intelligence Artificielle n’est pas de l’intelligence au sens où on l’entend chez les humains, ni plus ni moins bien, c’est différent. On ne peut soutenir cependant qu’elle ne soit pas créative. Au jeu de GO toujours, elle a découvert des strategies qu’aucun humain n’avait imaginées.
Dans le domaine artistique, elle a produit des images auxquelles on n’aurait jamais pensé.
C’est un processus certes laborieux parce qu’il repose sur une masse de calculs, mais incontestablement il produit des choses nouvelles. Un traité de jeu de Go dans 10 ans ne sera pas le même que ceux d’aujourd’hui. Il y aura bien une différence dans la théorie qui aura été apportée et en ce sens il y a acte créatif.

<SBE> : Vous pensez que l’Intelligence Artificielle pourra apprendre et faire quelque chose  qu’on ne lui a pas appris à faire ?

<CVI> Oui, elle le fait déjà. Il y a différents niveaux dans l’apprentissage bien sûr. Il y a la question de la décision. C’est extrêmement compliqué de définir ce qu’est une décision, la discussion est dure à tenir. De la même façon que les questions telles que « c’est quoi le libre arbitre », « c’est quoi la conscience » etc…

<SBE> : Prenons le cas de systèmes probabilistes. On observe donc pendant un certain temps un système et comment il se comporte. La machine engrange des données sur la manière dont il se comporte dans telle ou telle situation, et elle va en tirer des règles pour prévoir un comportement dans l’avenir

<CVI> : Ca, c’est de l’apprentissage statistique. Mais la machine peut aussi explorer, et là il y a la possibilité pour elle de tomber sur des choses neuves.

<SBE> : On sort du data computing.

<CVI> : Non, çà reste du data computing, mais dans lequel on sort de la liste d’exemples de la même façon qu’au jeu d’échecs on peut réfléchir à tous les coups mécaniquement. Vous connaissez les algorithmes génétiques ? Utilisés pour optimiser une fonction, On essaie des mutations sur les données pour voir ce qui va donner le meilleur résultat. Evidemment qu’avec ce travail d’exploration, on tombe sur des choses non prévisibles par le programmeur.
C’est une des définitions possibles de l’Intelligence Artificielle, un programme qui va faire des choses pour lesquels il n’a pas été explicitement programmé. Ca peut être extraire des informations de bases de données déjà existantes, et c’est le gros des applications aujourd’hui mais çà peut aussi être explorer pour trouver des solutions qui sortent du cadre de ce qui a été défini.
Ca dépend s’il y a un modèle valable ou pas. Si on est sur un modèle statistique, on est bien forcé d’y rester. S’il y a un modèle sous-jacent on peut tester. Quand je dis un modèle, je veux dire une équation, quelque chose comme çà.

<SBE> : En allant plus loin, une des facultés extraordinaires du cerveau humain, c’est l’adaptation c’est à dire le fait de réapprendre toujours comme un enfant.

<CVI> : Certains donnent cela comme définition de l’intelligence en général… y compris pour les animaux.

<SBE> : Je vais vous raconter une anecdote, qu’un de mes amis du CNES m’a racontée, une sorte d’illustration parfaite de l’adaptation dans un milieu inconnu pour l’homme. Prenez un spationaute qui se pose sur une planète inconnue. Il aperçoit un objet à 100 mètres, et décide de s’en saisir. Il lui faut 30 secondes pour cela. Son robot, sorte de machine ultra sophistiquée, fera de même mais en 3 semaines après avoir calculé l’ensemble des routes possibles pour faire les 100m n nécessaires ! Cela semble bien établir la supériorité de l’humain ici.

<CVI>: Oui mais vous avez vu les algorithmes sur lesquels cela repose? Ce sont des bébés algorithmes. C’est plus facile de programmer un réseau de neurones que de résoudre l’équation de Navier-Stokes. On est sur le début, l’enfance de l’art.
Tirer des conséquences du fonctionnement des robots aujourd’hui, c’est comme tirer des conclusions de la possible automatisation de la communication à partir des premières expériences sur le télégraphe. Nous ne sommes qu’au début de l’affaire avec les algorithmes actuels. Sur la question de meilleure adaptabilité en milieu inconnu, il y a la question du comment on représente le monde par couches successives de précision.
Je pense aux travaux de quelqu’un comme Josh Tenenbaum.
Au niveau des grands principes, on a une tellement faible compréhension de ce que sont l’intelligence, la conscience, la décision qu’on est en mauvaise posture pour raisonner. A ce jour il n’y a aucun plafond théorique qui dirait que telle ou telle chose ne serait pas possible. Par exemple, un robot pourrait avoir des émotions.
Ce n’est pas le sujet aujourd’hui. L’Intelligence Artificielle aujourd’hui n’est pas intéressée à reproduire l’intelligence humaine

<SBE> : D’accord. C’est un peu ce que je pense aussi. Je voulais justement vous demander ceci : la question n’est pas celle du possible mais du souhaitable non?. Parce qu’il faut s’intéresser aux conséquences de ce que l’on fait …L’Intelligence Artificielle aura des conséquences sur l’humain. Il faut prendre cela en compte?

<CVI> : Oui , mais c’est tellement lointain. Pour l’instant l’intérêt économique des acteurs c’est de faire des machines qui réalisent des tâches. Dès le début, Alan Turing disait un truc du genre que le robot n’était pas destiné à reproduire de l’humain mais tout entier voué à s’inscrire dans le processus de faire des tâches.
C’est pourquoi l’Intelligence Artificielle n’est pas la bonne appellation. Le sujet, c’est l’opérationnel, la démarche de type outil, comme prendre des rendez-vous etc…
Souhaitable ou non, on est dans la science-fiction pour l’instant.
Le fait que ce soit désincarné, qu’il n’y ait pas d’émotion, qu’il y ait une certaine inefficacité parce que la consommation d’énergie est considérable …tout cela peut poser des doutes sur le principe avec les technologies actuelles
Un livre de Shanahan faisait le point là-dessus il y a quelques années.

<SBE> : D’accord merci pour ces éclairages. Alors on va conclure. Je pense à une citation d’Einstein, qui avait le génie de parler de sujets sérieux et visionnaires avec de l’humour…
Il disait : « lorsque la physique rejoindra le métaphysique, le monde sera parfait ». Vous en pensez quoi?

<CVI> : (Rires) Ah d’accord, c’est bien ca…

Stéphane Bellocine

Stéphane Bellocine

Ecrivain, philosophe, ingénieur, amoureux des Arts. Innovation & Entreprenariat. #letémoindutemps

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6 Commentaires

  •    Répondre

    Merci Stéphane pour ton itw j’espere qu’il mettra son intelligence pour le bien commun et non comme le font nos politiques. Je te conseille un autre scientifique Idrisse Aberkane une vraie lumière d’inspiration. Amitiés

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    Concernant Cédric Villani

    Je pense qu’il est intelligent, sensible et honnête, il n’a donc aucune chance d’être élu, hélas !!

    •    Répondre

      Oui sensible, honnête certes et aussi très gentil. Et intelligent bien sûr, autant de qualités que l’on ne retrouve pas forcement en politique et qui simplement ne peuvent s’observer facilement. A bientôt

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    PFIRSCH YAN 12/05/2019 at 22:36

    Bravo Stéphane et merci pour cette interview. La personnalité de Cédric Villani m’a toujours intéressé car il pourrait faire beaucoup d’argent en allant vendre ses talents ailleurs mais il a préfère rester en France et même faire de la politique. A l’époque actuelle, où l’argent semble être la seule valeur et l’offre et la demande la seule loi, c’est tout à son honneur de mettre son intelligence au service du bien commun. En ce qui concerne le mal être actuel, je citerais Einstein qui disait que la technologie déshumanise l’homme. Avant de parler intelligence artificielle, il faut déjà définir ce qu’est l’intelligence et il n’y a pas de définition évidente. Pour moi, l’exemple du jeu de Go n’est pas convaincant car n’importe quel joueur médiocre peut battre facilement l’ordinateur en trichant. Malheureusement, la réalité est souvent là. Ce n’est pas toujours celui qui est le plus intelligent ou le plus fort qui gagne mais aussi celui triche.

    •    Répondre

      Merci de ton commentaire mon cher Yan, oui C.Villani est assez fascinant. Sur l’intelligence, la définition ne fera jamais consensus et cela même prouve la complexité de cette notion… En tout cas, il a voulu faire de la politique c’est à son honneur. Et tu sais, c’est plus facile de tricher en politique qu’au jeu de Go..

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